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« Carnet de voyage d'un cinéphile » DEUXIÈME ESCALE



Introduction


Qui n'aime pas voyager ? Certes certains ne peuvent ou ne veulent pas quitter la région qui leur est chère, mais qui n'aime pas découvrir ? Car si la découverte de l'étranger se fait par le voyage, celui ci ne nécessite pas forcément de déplacement. À l'heure actuelle, une simple connexion internet permet de découvrir tout ce qui peut vous intéresser sur une culture nouvelle. Un clic curieux sur une notion inconnue et tout un horizon insoupçonné se découvre subitement. Nous pouvons ainsi nous plonger dans la littérature, la musique, la peinture ou encore, ce qui va m'intéresser ici, le cinéma du monde entier. Aujourd'hui nous reprenons le ferry pour un pays que je ne connaît absolument pas : le Danemark.


Avertissement : regardez les films avant de lire la suite si vous voulez vraiment les découvrir, je vais parlez des films jusque dans certains détails et possiblement la fin. Vous êtes prévenus.


Danemark, Festen de Thomas Vinterberg

Si je connais ce pays, c'est uniquement grâce à Andersen (et encore merci Disney), la saison 19 de South Park (donc une vision caricaturale au possible) et les cinéastes Thomas Vinterberg et Lars Von Trier. Les deux réalisateurs sont à mes yeux absolument exceptionnels, notamment dans le drame social : les drames humains dans et à cause d'une société. Ils développent des thèmes durs et réalisent des films que l'on peut véritablement appeler « coups de poings » tant vous vous sentez physiquement mal à la fin du film. Cet état dont je sors étant souvent assez fort, j'ai beaucoup d'appréhension à visionner ces films pour deux raisons. La première est « est-ce que j'ai vraiment envie de me retrouver encore dans cet état ? », question souvent assez vite régler puisqu'il me suffit d'attendre un soir où je me sens assez prêt. Mais la deuxième est encore plus difficile à régler : « Le film va-t-il réussir à me refaire ressentir la même émotion aussi si fort que le film précédent ? ». Et là, j'hésite, j'attends l'émotion, donc elle ne pourra sans doute pas me surprendre, si forte soit-elle, et sera forcément moins forte, et maintenant que j'y ai pensé, je ne peux plus en faire abstraction. Donc je repousse, me disant qu'il vaut mieux que je sois un peu faible pour être frappé plus fort, mais la première question revient, et la boucle reprend son court. Et viens le jour où je surpasse une des deux raisons, et j'ai mal, à la fin du visionnage, encore. Et une expérience si forte, on a envie d'en parler, mais laquelle choisir : La Chasse de Vinterberg, le premier des films danois que j'ai vu et qui m'a déjà bien détruit à l'intérieur, Dogville, sans doute mon préféré pour son concept et ce qu'il raconte, ou Dancer in the Dark, sans doute le plus dur malgré le genre de la comédie musicale, tous de deux de Von Trier ? Et si on parlait plutôt du Dogme95 avec son film fondateur, Festen de Thomas Vinterberg ? (sinon, j'ai aussi vu Submarino de Vinterberg qui est moins intéressant sans être mauvais ou raté pour autant).



Festen se déroule lors d'un repas de riche famille danoise fêtant l'anniversaire du patriarche, Helge, dans un manoir reculé. On découvre plusieurs personnages, dont la fratrie, deux frères et une sœur, qui a souffert il y a relativement peu de temps du suicide de leur sœur. Alors que la grande sœur a des tendances très nerveuses et que le grand frère en a des plutôt violentes et impulsives, le plus jeune, et jumeau de la défunte, est désigné par son père pour prendre sa place chez les francs-maçons. Il décline, mais pour le remercier il décide de lire un texte en son honneur lors de son toast face à toute la famille réunie, étrangement bloquée par le personnel de maison qui leur a volé téléphone et clés de voiture. C'est alors qu'il annonce à toutes et tous que son père était un homme très propre, qu'il prenait de nombreux bains et qu'avant chaque bain, il les violait lui et sa sœur. C'est alors que, sous le choc, toute la famille va faire comme si elle n'avait rien entendu : ça ne peut être qu'une mauvaise blague d'un jeune homme troublé par la mort de sa sœur.


Et là, déjà vous voyez dans quel genre d'aventure vous risquez de vous embarquer avec ce cinéma. Ce film est sale. Déjà par son histoire vraiment horrible de viol incestueux, mais pas besoin de développer en quoi et de toute façon, j'y reviendrai. Mais surtout, la mise en scène est typique du mouvement dans lequel s'inscrit le film, dont c'est d’ailleurs le premier : le Dogme 95. Principalement représenté par Lars Von Trier (Les Idiots) et Thomas Vinterberg (Festen), le Dogme 95 est un mouvement cinématographique danois aux codes extrêmement précis voulant se rapprocher au plus près du réel. Parmi ces règles, on peut citer « tourner avec des lumières naturelles », « ne pas rajouter de musique au montage » ou encore « tourner en numérique ». Il ne faut pas oublier que le film est sorti en 1991, aux balbutiements du numérique. Les seules caméras qui avaient été conçues étaient des caméras DV exclusivement réservées à l'usage familial par sa qualité médiocre. Mais quelle idée génial d'ouvrir ce mouvement avec ce sujet. L'utilisation de ces caméras DV a deux intérêts majeurs : la qualité médiocre est un reflet de l'horreur au sein de cette famille que le fils met en lumière, débarrassant la famille comme l'image de ses artifices, et elle rappelle des images de repas de famille prise par un oncle ou un cousin. Mais ce repas, cette horreur, cette mise en scène sont tous au service d'un propos.



Festen est une œuvre très dure qui questionne sur les faux semblants au sens le plus général grâce à l'exemple si particulier de la grande noblesse franc-maçonnique et si extrême du viol incestueux poussant au suicide. La situation peut tout à fait se déplacer à d'autres milieux, et vous comprenez que le cheminement du film s'applique à tout mensonge mis à jour dans une société : un patron qui rabaisse un employé, une belle mère qui rejette le fils de son mari, un producteur qui agresse une actrice, chacun d'entre eux se montrant d'un agréable excessif en société. Combien de temps avant que quelqu'un ne parle ? Le temps qu'il faudra pour que la situation ne devienne irréversible (licenciement, dépression voire, comme dans le film, suicide). Comment réagis la société en question lors de la tragédie ? Elle ferme les yeux, car sa figure importante l'entache et surtout, elle est soumise au pouvoir de celle ci et son pouvoir, pouvant faire appel à de la violence physique ou morale, à la pression psychologique, à la diffamation voire à ce qu'elle a fait à la victime). Mais quand le secret est dévoilé, peut-on garder ses yeux et ceux des autres fermés ? En effet, on est choqué de l'apprendre ou que quelqu'un le dévoile au grand jour, mais on peut toujours se forcer soi-même et les autres avec quelques artifices : c'est une mauvaise blague, il se trompe, il ment, il diffame, il délire, il est fou. Les plus proches de la victime et/ou du dénonciateur sont sous le choc, ils sont tiraillés entre les deux partis, au pire ils essaient de stopper le débat, au mieux ils enquêtent de leur côté. Quant aux proches de l'accusés, ils défendent, voire descendent. Si vous en doutez, regardez autour de vous, vous trouverez à coup sûr au moins un exemple, quelle qu'ai été votre position.


Petit cinéma dans une Europe où résident les importants français, britannique et italien, le cinéma danois est de ceux écrasés par ces mastodontes. Et pourtant, ces deux cinéastes que sont Lars Von Trier et Thomas Vinterberg pondent régulièrement des œuvres marquantes et uniques, voire importantes comme le fut Festen, premier succès critique d'un film entièrement tourné en numérique avec son prix du jury à Cannes, ouvrant la voie à 28 jours plus tard de Danny Boyle, qui amènera le numérique aux Oscars avec Slumdog Millionaire, qui sera suivit d'Avatar de James Cameron qui amènera la domination du numérique sur le marché mondial. Un petit mouvement à l'origine d'une révolution. Et si mon avis ne vous intéresse pas ou qu'il vous déçoit, vous agace, vous énerve, vous révolte, vous fait pitié, qu'est-ce que vous voulez que je vous dise : restez chez vous, imprimez-le, et torchez-vous avec. Quant à moi, je m'en vais pour un pays de premier plan dans les origines du cinéma mais qui peine aujourd'hui à se refaire une place, malgré d'excellents films...



Article de Arthur Picou pour Méga.Média

(saison Mo(o)n Label 19/20)



P.S. : Il existe depuis 2017 une excellente adaptation théâtrale par le collectif MxM, un bijou de théâtre choc.

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